Rubresus Association de protection et sauvegarde de l’environnement des Basses Plaines de l’Aude

Cour d’Appel de Marseille : une audience sur des charbons ardents

La Cour Administrative d’Appel de Marseille a examiné en audience le 12 avril les recours
des associations RUBRESUS et COL.E.R.E en annulation des autorisations préfectorales
d’exploitation de nouvelles installations sur le site narbonnais Orano Malvési du four
incinérateur de déchets radioactifs nitratés TDN (arrêtés préfectoraux du 8 novembre 2017 et
3 octobre 2023) et de l’installation de production de dioxyde d’uranium appauvri (arrêté
préfectoral 26 juillet 2018), composant majeur du combustible nucléaire MOX. Il aura fallu 6
années des lourdes procédures pour voir enfin quelques vérités éclater, des masques
tomber sous les coups de boutoir des plaidoiries de Me M-P. Maître, cabinet d’avocats Atmos
Avocats, Paris. Le préfet et le Ministère de la Transition Ecologique ne se sont pas faits
représenter à l’audience. Le cabinet Boivin assurait la défense d’Orano.
Nous livrons ci-dessous notre ressenti de moments les plus marquants de l’audience.

L’affaire TDN

Des irrégularités avérées, non régularisées ! Et alors ?
L’audience du 12 avril 2024 devait vérifier que les vices relevés par la Cour d’Appel
(jugement du 21 octobre 2022) avaient été bien régularisés par le préfet et Orano.
Concernant l’insuffisance de l’état de pollution des sols présenté par Orano en 2016, le
jugement avait imposé au préfet et à Orano d’actualiser l’état de pollution sur l’intégralité du
site Orano Malvési. Le rapporteur public a constaté que le préfet et Orano Malvési n’ont pas
fourni d’analyses actualisées récentes et que les quelques analyses présentées, anciennes
et éparses (2018 et antérieurement) ne répondaient pas à la demande d’actualisation du
jugement. Malgré ce flagrant défaut de régularisation constaté par le tribunal, le rapporteur
public a proposé une échappatoire par prescription dans un futur arrêté préfectoral
complémentaire d’autoriser la construction de TDN sous réserve que les analyses préalables
des sols du site s’avèrent conformes aux seuils de pollution des sols.
Notre avocate a fustigé cette proposition en soulignant qu’en douze mois rien n’avait été fait,
aucune mise à jour par de nouvelles analyses et ce au mépris de l’injonction de la Cour
d’Appel. S’appuyant sur plusieurs articles de droit, elle a indiqué qu’une prescription sans
régularisation du vice constituerait une erreur de droit.
Orano semble donner l’impression de refus d’obtempérer pour l’actualisation de l’état de
pollution des sols, au nez et à la barbe de la Cour. Qu’est-ce qu’Orano voudrait enterrer en
refusant d’actualiser l’état de pollution des sols de Malvési ?

Des déchets radioactifs sans domicile fixe

La deuxième irrégularité pointée par la Cour d’Appel a trait à la gestion des déchets
radioactifs produits par TDN, tant sur leur destination que sur les quantités stockées à
Malvési. Alors qu’Orano a déclaré prudemment et subtilement que ses déchets TDN ont
« vocation » être stockés dans le centre spécialisé CIRES à Morvilliers (10), ce qui n’engage
à rien, le rapporteur public a noté le flou persistant et l’absence de certitude sur la gestion
des déchets TDN au CIRES car la saturation de ce centre pourrait être atteinte avant même
que les déchets n’y soient envoyés. Il a évoqué une solution parallèle qu’Orano examinerait
par enfouissement des déchets radioactifs en sous-sol narbonnais. Les mâchefers
radioactifs que l’incinérateur TDN produirait durant les 40 prochaines années n’ont pour
l’heure aucune adresse sûre de leur stockage, si ce n’est une probabilité élevée qu’ils
demeurent à Narbonne in vitam aeternam, sous nos pieds ou peut-être dans un hangar.
TDN : approuvé par l’Etat, mais pas éprouvé
Le grand écart du rapporteur public dans son exposé à l’audience quant à la fiabilité
supposée de TDN n’a fait que renforcer les doutes. S’il n’a pas hésité pas à soutenir le préfet
et son expert qui ont vanté TDN THOR de procédé robuste et fiable (arrêté préfectoral du 8
novembre 2017), le rapporteur public a en même temps modéré son appréciation en
rappelant que le nouvel arrêté préfectoral du 3 octobre 2023 dictait une phase préalable
d’essais de validation consécutivement à l’enquête publique de juin 2023 qui a mis en avant
la non fiabilité du procédé. Allant plus loin encore dans la réserve, le rapporteur public a
proposé de compléter l’arrêté préfectoral par encore une nouvelle prescription obligeant à
stopper l’installation TDN en cas de problèmes. Tout en claironnant sa robustesse
légendaire, il ouvre grand le parapluie devant tous les doutes techniques, environnementaux
et sanitaires du four incinérateur TDN. 100 millions € d’investissement pour le four TDN au
risque qu’ils partent en fumée, ce serait un sacré coup de poker.

L’affaire NVH dioxyde d’uranium appauvri

Si l’affaire TDN passait pour la deuxième fois devant la Cour d’Appel, la requête en
annulation de l’autorisation préfectorale du 26 juillet 2018 de l’installation de production de
dioxyde d’uranium NVH, portée également par RUBRESUS et COL.E.R.E, était examinée en
appel pour la première fois. Pour rappel, la nouvelle installation de production de dioxyde
d’uranium appauvri (dénommée NVH pour Nouvelle Voie Humide) d’Orano Malvési
Narbonne sera la seule usine en Europe à produire le composant majoritaire (92%) utilisé
pour le combustible nucléaire MOX en mélange avec du plutonium. Son autorisation a été
obtenue sans enquête publique ni étude environnementale spécifique via une procédure
allégée de porter à connaissance alléguant qu’elle ne constituait pas de modification
substantielle au site narbonnais Malvési.

NVH : un atelier pas si anodin !

Reprenant les raisonnements d’Orano, le rapporteur public a soutenu que cette usine
assimilée à un atelier ne modifiait pas substantiellement les rejets du site Malvési, ni les
dangers. C’est cependant un hangar de plus de 500 m2, 12 m de haut, avec une cheminée
(la 36ème du site) de 20 m rejetant 10 000 m3/h de gaz, où l’uranium appauvri en
provenance du site du Tricastin, préalablement dissous par l’acide nitrique en nitrate
d’uranyle, est précipité par l’ammoniac en diuranate d’ammonium, filtré, réduit en dioxyde
d’uranium dans un four à hydrogène à lit fluidisé à très haute température, tamisé en très
fine poudre de quelques microns. Bref, un atelier anodin, tout ce qu’il y a de plus banal,
produisant le composant principal d’un combustible nucléaire alimentant près de la moitié
des centrales françaises, dont les effets des émissions de poussières d’uranium, d’oxydes
d’azote, de gaz à effet de serre (protoxyde d’azote) dans l’air narbonnais ont été négligées et
dont les narbonnais ont été tenus à l’écart d’information préalable et de toute consultation.

NVH : une usine fantôme … bien réelle

La plaidoirie de notre avocat a mis à mal l’autorisation préfectorale de NVH sous tous les
angles. Outre les rejets atmosphériques et impacts environnementaux, l’absence d’étude de
danger et donc la non modification du plan de prévention des risques technologiques ont été
soulignées. Les modifications substantielles d’émissions d’uranium, de polluants chimiques
et climatiques justifient une étude environnementale et une enquête publique. L’état de
pollution des sols, bien que non régularisé, a révélé une pollution record par uranium au
niveau de l’installation NVH avec 590 mg d’uranium/kg soit environ 1 kg d’uranium par m3
.
Tous ses coups ont ébranlé la défense qui dans une envolée oratoire passait à des
révélations sidérantes :
• L’installation NVH a été bel et bien construite et produit du dioxyde d’uranium appauvri,
n’en déplaise à la Cour.
• Brandissant une feuille, l’avocat de la défense narguait le tribunal en clamant avoir
connaissance depuis la veille les informations sur les sols contaminés qu’Orano a
enlevés pour la construction de l’installation NVH et enfouis de son propre chef dans
l’INB ECRIN. L’endroit le plus contaminé en uranium (sondage SC3) : un puisard a été
supprimé.
La présidente et ses deux assesseurs, médusées par ces aveux tardifs, exprimaient leur
agacement d’apprendre tout cela alors que pas un mot ne l’a évoqué dans plus de la
centaine de pages d’écritures qu’Orano a présentées à la Cour. Le rapporteur public qui
avait fait preuve de mansuétude à l’égard de la filière nucléaire et de ses acteurs dès ses
premiers mots à l’audience paraissait également interloqué, ne cachait pas son dépit en
découvrant ces cachoteries et semblait avoir quelque peine à avaler la couleuvre
narbonnaise.
Outre la forme plutôt cavalière de leur présentation devant la Cour, ces révélations posent de
graves questions de fond sur l’état de pollution du site Malvési et de son environnement. La
nappe d’eau se situe à environ 2 m sous l’installation NVH. Apprendre de façon impromptue
qu’un puisard dans cette zone, fortement contaminé par des matières uranifères, ait pu être
en communication avec la nappe d’eau renforce nos vives inquiétudes sur la gestion
environnementale passée et les réels impacts du site Orano Malvési sur l’environnement
narbonnais. Les informations sur ce puisard contaminé, sur l’extraction des matériaux
contaminés et leur élimination dans l’INB n’ont pas été présentées aux enquêtes publiques,
ni à la commission de suivi du site et son observatoire, ni à la commission locale
d’information ni dans les mémoires fournis aux tribunaux. Cette regrettable omission affecte
la crédibilité des affirmations de transparence et illustre une culture vivace du secret au
détriment de l’information des habitants et des autorités.

Quel jugement après la non régularisation des irrégularités et aveux de
dernière minute ?

Le jugement a été mis en délibéré à fin avril ou début mai 2024.
Que ce soit la non régularisation d’irrégularités constatées par la Cour d’Appel au sujet de
l’autorisation de l’installation TDN ou la mise devant le fait accompli par la construction de
l’installation de production de dioxyde d’uranium NVH sur des sols pollués par l’uranium et
par sa mise en service sans en avoir référé à la Cour, l’audience a révélé des éléments à
charge supplémentaires qui confortent la pertinence des recours déposés par RUBRES et
COL.E.R.E. Après 6 années de lourdes procédures juridiques menées grâce aux fidèles et
précieux soutiens de la population, nous sommes confiants dans la justice pour sanctionner
les vices établis et corriger des méthodes occultes. Comment pourrait-il en être autrement ?


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